Le cas de Mary Jane Tilden
Transcription (en français) d’un des premiers cas publié par Carl Rogers en 1947. Le cas, qui comporte 11 séances, date de 1946, au tout début de sa carrière. Nous présentons ici la première séance. Typique des débuts de Carl Rogers et de ce qu’on appelle “l’approche rogerienne classique”.
Mary Jane est une jeune fille de vingt ans, extrêmement introvertie. Elle se plaint de se sentir différente des autres et elle s’autocritique énormément. Très désespérée. C’est sa mère qui l’a amenée en thérapie auprès de Carl Rogers.
Source : The Psychotherapy of Carl Rogers, Cases & Commentary
Entretien thérapeutique de Carl Rogers et Mary Jane TILDEN
Première séance (7 octobre 1946)
C1: Je n’en sais que très peu sur la raison pour laquelle vous êtes venue. Voudriez-vous m’en dire un peu plus ?
S1: C’est une longue histoire. Je n’arrive pas à me trouver. C’est comme si rien n’allait dans ce que je fais. S’il y a la moindre critique ou si quelqu’un dit quoi que ce soit à mon sujet, je ne peux pas le supporter. Quand j’avais un emploi, si quelqu’un faisait le moindre commentaire, cela me pulvérisait.
C2: Vous avez le sentiment que tout va mal et vous êtes dévastée par les critiques.
S2: Eh bien, en fait, cela n’a même pas besoin d’être une critique. Ça remonte à tellement loin. Quand j’étais en primaire, je ne me sentais jamais à ma place. Oh parfois j’essayais de me sentir supérieure mais après je redescendais bien vite et bas. J’étais un peu la chouchoute du prof mais cela n’arrangeait rien avec les autres filles.
C3: Vous sentez que la racine remonte à il y a bien longtemps mais que vous ne trouviez jamais vraiment votre place, même en primaire.
S3: Récemment c’est devenu pire. Je ressens même que je devrais être internée. Il y quelque chose qui ne va vraiment pas chez moi.
C4: Les choses vont si mal que peut être vous pensez que vous êtes anormale.
S4: Oui. Bien sûr, à l’école, j’avais de bonnes notes mais je pense que je mémorisais surtout.
C5: Excusez-moi, vous parlez vite et j’ai du mal à tout noter. Est-ce que cela vous dérangerait si j’installais un micro et si j’enregistrais cet entretien sur cette machine ?
S5: Non – C’est d’accord. (A partir de ce moment l’entretien est enregistré).
C6:Bon eh bien, oubliez que c’est là et tout ira bien. Vous aviez donc de bonnes notes et vous …
S6: Oui mais je pense que je mémorisais les livres. Je sais que j’étudiais sans arrêt. Je ne sortais jamais avec personne. Je me renfermais parce que je souffrais tellement. Alors je…
C7: Vous avez dit vous souffriez tellement ?
S7: Oui car quand j’étais avec des gens, je ne me sentais pas du tout à l’aise. Je me sentais texclue des sorties ou des trucs de ce style. Et donc je suppose que je faisais — disons que quand j’étudiais, c’était une sorte de fuite pour moi et j’essayais d’oublier. Mais je n’étudiais pas. Je suppose que je n’étudiais pas avec la bonne attitude pour apprendre afin de pouvoir sortir de mon dilemme. Je faisais en sorte que cela soit un peu comme un monde à part, mes devoirs. Je m’isolais en quelque sorte. Vous voyez ce que je veux dire? Ce qui fait que mes devoirs ne pouvaient pas m’amener à une normalité ni à être avec les autres ou à trouver quelque chose en commun avec eux.
C8: Vos devoirs et vos bonnes notes et tout ça, vous le ressentez comme quelque chose qui vous séparait du reste de votre vie et ne vous aidait pas vraiment.
S8: M-hm. C’est ça. Et je — ça n’était pas la bonne attitude, je le sais bien — Car c’était censé intégrer à la vie mais ça ne marchait pas pour moi. Je suppose que j’en ai fait une fuite.
C9: Vous ressentez que vos études et votre travail étaient une manière de fuir les choses ?
S9: C’est ça. Et tous les autres se demandaient pourquoi j’aimais tant les devoirs, et moi ça me plaisait – Je donnais l’impression que ça me plaisait–. Et en fait ça m’apportait quelque chose. Ça me redressait un peu mais je n’ai pas l’impression d’en avoir appris grand-chose. Parce qu’en fait, ma mémoire n’est vraiment pas bonne maintenant. Tout est tellement confus. Je veux dire je me le suis ressassé encore et encore dans ma tête à essayer de comprendre. (Pause.) Mais je ne semble pas y parvenir. Et ensuite quand je réfléchis, c’est un tel effort pour moi rien que de vivre au quotidien et de penser à ces choses et je me dis qu’il faudrait faire quelque chose. Ça n’est pas juste et ça n’est pas normal. C’est parfois un effort pour moi rien que de marcher dans la rue. C’est quelque chose de fou, vraiment.
C10: Même les petites choses, les choses ordinaires, vous perturbent beaucoup.
S10: M-hm, c’est ça. Et je n’arrive pas à le dépasser. Je veux dire : tous les jours on dirait que c’est encore et encore les mêmes petites choses qui ne devraient pas avoir autant d’importance.
C11: Alors au lieu de s’arranger, en fait, les choses ne s’améliorent pas du tout.
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L’auteur:
Carl Rogers
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