Empathie et reflet des sentiments
Dans ce petit texte, Carl Rogers explique pourquoi il n’aime pas le terme de “reflet des sentiments. (…). En tant que thérapeute, je n’essaye pas de “refléter les sentiments. J’essaye de déterminer si ce que je comprends de l’univers intérieur du client est correct”.
Dans le fond, c’est une autre manière de décrire le processus empathique.
A lire aussi un autre article de Carl Rogers intitulé: “Empathie, une manière d’être non appréciée à sa juste valeur“. A lire ici.
L’empathie et le reflet des sentiments
Refléter les sentiments
Carl Rogers
Bien que je sois partiellement responsable du fait que cette expression soit utilisée pour décrire un certain type de réponses thérapeutiques, au long des années, cette expression m’a paru de moins en moins satisfaisante. Une raison essentielle est le fait que trop souvent le reflet des sentiments a été enseigné comme une technique, et même parfois comme une technique très rigide. On demande à l’étudiant de répondre à la formulation écrite d’expressions du client, en fabriquant un reflet “correct” des sentiments, ou même pire, de choisir la réponse “correcte” dans une liste de réponses possibles. Ce genre d’exercice a très peu de rapport avec une relation thérapeutique efficace. Je suis donc devenu de plus en plus allergique à l’utilisation de ces termes.
Cependant, je sais que beaucoup de réponses que je donne lors d’un entretien thérapeutique — tel que le montrent les exemples qui ont été publiés — peuvent apparaître comme des “reflets de sentiments”. Mais au fond de moi, je ne suis pas d’accord. Je n’essaye absolument pas de “refléter les sentiments”.
Or, je reçois une lettre de mon ami et jadis collègue, Dr. John Shlien de l’université Harvard, qui complique encore plus le dilemme. Il écrit (1986) :
“Reflet” est un mot injustement maudit. On l’a critiqué à juste titre quand on a décrit la parodie rigide qu’il pourrait devenir entre les mains de gens dépourvus de sensibilité, et vous avez fort bien écrit à ce sujet. Mais vous avez négligé l’autre aspect. C’est un instrument de virtuosité artistique entre les mains de quelqu’un qui écoute avec sincérité, intelligence et empathie. Il a permis le développement de la Thérapie centrée sur le client, ce que la philosophie n’aurait pu faire à elle seule. Le dénigrement injuste de la technique conduit à des alternatives stupides présentées au nom de la “congruence”.
Le reflet des sentiments
A la réflexion, deux idées me sont venues:
De mon point de vue, en tant que thérapeute, je n’essaye pas de “refléter les sentiments.” J’essaye de déterminer si ce que je comprends de l’univers intérieur du client est correct, et si je le vois comme il ou elle le vit à l’instant même. Chacune de mes réponses contient la question implicite : “Est-ce ainsi que les choses se passent en vous ? “Est-ce que je saisis bien la couleur, le grain et le goût de la signification personnelle de ce que vous vivez en ce moment ? Si ce n’est pas le cas, je souhaiterais ajuster ma perception avec la vôtre”.
D’un autre côté, je sais que du point de vue du client, nous lui présentons un miroir de ce qu’il ou elle est en train de vivre. Les sentiments et les significations personnelles semblent plus aigus quand ils sont vus à travers les yeux d’un autre, quand ils sont reflétés.
Aussi, suggérerais-je que ces réponses du thérapeute soient appelées, non pas “Reflets des sentiments”, mais “Essais de compréhensions” ou “Vérifications des perceptions”. Ces termes seraient, je crois, plus exacts.
Ils seraient aussi plus utiles pour la formation des thérapeutes en leur fournissant une solide motivation à répondre, à questionner, plutôt qu’un simple désir de “refléter”.
Cependant, si l’on regarde ce que vit le client lors d’une séance, on doit admettre que de telles réponses sont effectivement perçues comme un miroir. Ceci a été remarquablement exprimé par Sylvia Slack (1985, p 41-42) lorsqu’elle parle de ses réactions dans une interview thérapeutique qui a eut lieu devant un large auditoire, et qui a fait l’objet d’un enregistrement vidéo. Elle écrit:
Regarder la vidéo m’a aidé à visualiser plus clairement le processus du conseil. C’était comme si le Dr. Rogers avait été un miroir magique. Le processus comportait l’émission par moi de rayons sur ce miroir. Je regardais le miroir pour entrapercevoir quelque chose de la réalité que je suis. Si j’avais perçu que le miroir était affecté par les rayons qu’il recevait, le reflet eut paru déformé et je n’aurais pu m’y fier. Bien que j’étais conscient d’émettre des rayons, je n’en ai véritablement discerné leur nature que lorsqu’ils ont été reflétés et clarifiés par le miroir. Ma curiosité était excitée par ces rayons et ce qu’ils révélaient de moi. Cette expérience m’a donné la possibilité d’avoir une image de moi non ternis par les perceptions des regards extérieurs. Cette connaissance intérieure de moi m’a permis de faire des choix qui conviennent mieux à la personne qui vit en moi.
L’empathie
Ainsi qu’elle le suggère et le développe, il est important que la compréhension du thérapeute soit suffisamment correcte dans son ressenti pour permettre que l’image donnée par le miroir soit claire et non déformée. Ceci implique de laisser de côté ses propres jugements, ses propres valeurs, afin de saisir avec précision et finesse le sens exact de ce que vit le client.
Ces réflexions et leur mise en forme m’ont apporté quelques clarifications :
Du point de vue du thérapeute, je peux continuer à tester une compréhension de mon client en faisant de timides essais pour percevoir son univers intérieur.
Du point de vue du client, je peux admettre que ces réponses sont, dans le meilleur des cas, une image clairement reflétée par un miroir, des significations, des perceptions, un miroir de ce qui compose à cet instant là son univers, une image pénétrante et qui apporte de la clarté.
Références
SHLIEN, J. (1986). Personal correspondence, April 2, 1986
SLACK, S. (1985). Reflections on a workshop with Carl Rogers. Journal of Humanistic Psychologv, Spring 1985, 25, 35-42
NB: John Shlien est cité par Rogers dans cet article.
Vous trouverez dans notre bibliothèque digitale un de ses articles qui a fait coulé beaucoup d’encre: Une contre-théorie du transfert.
L’auteur:
Carl Rogers
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